Wine Resorts : une nouvelle géographie du tourisme du vin
- Charlotte FOUGERE
- il y a 1 jour
- 5 min de lecture

Partout dans le monde, les vignobles se transforment en lieux de vie. Au Portugal, en Californie, en Espagne ou en Bulgarie, on ne vient plus seulement pour déguster un vin, mais pour y passer quelques jours : dormir au milieu des vignes, se détendre au spa, dîner au domaine, flâner dans les paysages, découvrir les savoir-faire. Ces wine resorts sont devenus les nouveaux pôles d’attractivité des destinations viticoles, associant hospitalité, culture, nature et gastronomie dans une expérience de séjour complète. En France, où le patrimoine viticole est sans équivalent, le mouvement reste timide. Le pays qui a inventé l’art de vivre du vin peine encore à inventer le modèle d’hospitalité qui lui correspond.
Des modèles internationaux de wine resorts où le vin devient une expérience globale
Dans la Rioja, l'Hotel Marqués de Riscal, signé Frank Gehry, a été conçu dès l’origine comme un manifeste. Ses 61 chambres, ses quatre restaurants, son spa Caudalie et son centre de conférences s’intègrent dans les chais historiques de la maison fondée en 1858. Le vin y devient matière à culture, architecture et conversation.
En Californie, le Four Seasons Resort and Residences Napa Valley, érigé autour du vignoble actif de la Elusa Winery, pousse plus loin encore l’idée d’immersion. Le complexe compte 85 chambres et suites, 20 résidences privées, deux restaurants, un spa, plusieurs piscines et un programme complet d’activités pour adultes et enfants. Les plus jeunes participent à des ateliers nature, des initiations culinaires ou des balades éducatives dans les vignes, pendant que les parents explorent la cave ou se détendent au spa. Le modèle repose sur une convivialité intergénérationnelle, qui permet de lisser la saisonnalité et de fidéliser des clientèles familiales; un point encore peu intégré dans la culture œnotouristique française.
À Porto, The Yeatman, propriété du groupe Taylor’s, illustre la version urbaine du wine resort : 109 chambres, un restaurant doublement étoilé, un Wine Spa, des piscines intérieure et extérieure, et une programmation culturelle tout au long de l’année.
Et en Bulgarie, le Wine & SPA Complex Starosel/ Винен и СПА комплекс "Старосел", avec ses plus de 200 chambres, ses quatre restaurants, son spa thermal et son centre de congrès de 1 000 places, montre comment un vignoble peut devenir le moteur touristique et économique d’un territoire rural.
Dans ces lieux, le temps s’étire au rythme des saisons, la lumière dorée s’attarde sur les vignes, et le vin s’exprime à travers toutes les formes du plaisir : goût, paysage, architecture, hospitalité. Ce n’est plus une activité de visite, mais une expérience de séjour.
Une excellence française encore segmentée
La France n’est pas en reste : Les Sources de Caudalie (62 chambres, un restaurant doublement étoilé, un spa pionnier en vinothérapie), le Château de Berne (40 chambres, un spa de 800 m², une école de cuisine et deux restaurants dont un étoilé), le Château L'Hospitalet Wine Resort Beach & Spa 5* (plus de 90 chambres, un spa, une galerie d’art et une programmation annuelle d’événements) qui vient d’intégrer la Hilton Curio Collection, premier pas vers une stratégie internationale, ou le Château la Coste qui attire plus de 250 000 visiteurs par an grâce à son centre d’art contemporain et son restaurant gastronomique, ses villas, son hôtel. Ces établissements parmi les plus beaux d'Europe incarnent un savoir-faire rare, où le vin, l’art et le patrimoine dialoguent avec l’hôtellerie haut de gamme. Mais leur approche demeure, pour la plupart, centrée sur l’expérience hôtelière et gastronomique, au sens noble du terme, avec des séjours de confort et de prestige, souvent pensés pour des clientèles adultes ou en couple. Ce qui manque encore, c’est la cohérence de destination : une programmation pensée sur plusieurs jours, des activités pour toutes les générations, et une mise en réseau à l’échelle territoriale. Autrement dit, la France excelle dans l’art de recevoir, mais n’a pas encore tout à fait structuré l’art du séjour.
En Champagne, l’ouverture du Loisium Hotel illustre bien cette ambiguïté : un bel hôtel contemporain inspiré par le vin, mais sans véritable immersion dans l’exploitation. De même, le Royal Champagne Hotel & Spa, aussi luxueux soit-il, demeure un hôtel dans un paysage viticole, mais ne peut pas être considéré comme une destination viticole en soi. Or la nuance est essentielle : un wine resort ne se définit ni par ses étoiles, ni par son spa, mais par la cohérence d’un séjour où l’expérience du vin irrigue chaque instant.
Dans le Beaujolais, le Hameau Duboeuf illustre une autre approche, celle d’un vaste complexe œnotouristique associant musée, animations, boutique et espaces de restauration. Véritable pionnier de la mise en scène du vin pour le grand public, il attire plus de 100 000 visiteurs par an et reste l’un des rares exemples français d’offre structurée autour de la découverte du vin sous toutes ses formes. Mais il n’intègre pas d’hébergement et définit un modèle d’expérience, plutôt qu’un modèle de séjour.
Des freins à la fois économiques, fonciers, culturels et réceptifs
Si le modèle peine à se développer, ce n’est pas faute de potentiel, mais à cause d’un enchevêtrement de contraintes : une fiscalité et des niveaux de charges désincitatifs par rapport à nos voisins européens, des verrous fonciers qui rendent complexe toute construction ou extension en zone agricole ; une fragmentation des acteurs (viticulteurs, hôteliers, collectivités) rarement unis autour d’un même projet ; et surtout, un retard culture: en France, la vigne s’est longtemps pensée comme une activité agricole, non comme une composante de l’hospitalité. La filière a investi dans la production, plus rarement dans la mise en scène de l’expérience. Dans d’autres segments du tourisme, la logique de séjour intégré combinant hébergement, loisirs, bien-être et gastronomie s’est imposée depuis longtemps. L’univers viticole, lui, n’a pas encore trouvé sa forme aboutie de ce modèle, capable de concilier intégration, immersion et durabilité. Il est d'ailleurs aujourd'hui davantage poussé par les acteurs de l'hospitalité en la matière que par les domaines ou les interprofessions.
Le frein le plus déterminant est aussi celui du réceptif structuré. La France dispose de plateformes dynamiques comme Rue des Vignerons ou Winalist, qui facilitent la réservation d’expériences. Mais la majorité des agents s’adressent encore largement à la visite, pas encore au séjour complet. Pour le moment, aucun acteur n'a pu vraiment lier hébergement, restauration, activités et culture dans une offre intégrée, pensée à la manière d’un “tour opérateur du vin”. Cette absence d’intermédiation ne favorise pas l’émergence d’un véritable réseau de wine resorts français. Elle traduit aussi un déficit de structuration à l'échelle des destinations, à défaut que les sites eux-même intègrent l'ensemble des composantes du séjour.
Vers un modèle intégré et durable
Le développement de véritables wine resorts représente pourtant un levier de transformation majeur pour les territoires viticoles. Un établissement de 100 chambres bien positionné peut générer plus de 10 millions d’euros de retombées locales annuelles : emplois, approvisionnements, fiscalité, sous-traitance. Mais au-delà de l’économie, il s’agit de réinventer le rapport au temps et à l’espace : proposer un séjour prolongé, quatre saisons, ancré dans la nature, associant transmission, gastronomie, culture et durabilité, et qui s’adresse à toutes les générations. Les familles, en particulier, constituent une cible clé pour rajeunir la filière et anticiper l’évolution des comportements des nouvelles clientèles du vin, celles pour qui l’expérience compte autant que la dégustation.
Le tourisme du vin entre dans une phase de maturité. Après la dégustation, après la visite, vient le temps du séjour. Un séjour où l’on découvre, apprend, se ressource et partage. La France possède tout pour en devenir le modèle : le patrimoine, les paysages, le savoir-faire et l’art de vivre. Ce qu’il lui manque encore, c’est une vision d’ensemble, une gouvernance claire et une audace collective.
Les wine resorts ne sont pas un luxe de confort : ils sont le laboratoire de la nouvelle hospitalité viticole, celle où le vignoble devient un lieu de vie, d’apprentissage et de transmission pour toutes les générations. Un vivier d'attractivité pour les territoires ruraux, et un projet d'avenir pour les domaines qui s'engagent dans cette voix.
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