Vendanges touristiques : de l’expérience immersive à l’outil stratégique pour l’oenotourisme

©Calice Hospitality and Wines

La saison des vendanges bat son plein et, partout en France, les vignes s’animent. Mais depuis quelques années, aux côtés des équipes de saisonniers, un autre public s’invite dans les rangs : les visiteurs. Les vendanges touristiques s’imposent comme une expérience phare de l’œnotourisme. Participer à la récolte, même quelques heures, permet de vivre un moment fort du cycle viticole et d’en comprendre toute la dimension humaine et culturelle. Pour les domaines, c’est un formidable outil de communication, de diversification et de fidélisation.

Un cadre légal désormais clair et encouragé

Pendant longtemps, les vendanges touristiques ont souffert d’une zone grise : s’agissait-il de bénévolat illégal, de travail déguisé ? Depuis 2022, le doute est levé : ces expériences sont reconnues comme des prestations œnotouristiques à part entière. Elles doivent donc être conçues comme une activité commerciale, facturée au même titre qu’une visite de cave ou une dégustation.

Pour être en règle, un domaine doit :

• Déclarer l’activité dans son offre commerciale et l’intégrer à sa comptabilité.

• Facturer la prestation aux visiteurs, en incluant la participation à la récolte mais aussi les services associés (dégustation, repas, animations).

• Garantir la sécurité : fournir l’équipement adapté et donner les consignes de prévention.

• Être assuré : la responsabilité civile professionnelle doit couvrir l’accueil de visiteurs dans les vignes.

• Encadrer l’expérience pour qu’elle reste pédagogique et conviviale, en limitant le temps de coupe pour en faire un moment de découverte, sans se substituer au travail des saisonniers. 

Cette clarification, fruit de plusieurs années d’échanges avec les professionnels et la MSA, a été réaffirmée et encouragée par la nouvelle feuille de route nationale de l’œnotourisme publiée en juin dernier. L’État y présente les vendanges touristiques comme un produit emblématique, capable de renforcer l’attractivité des vignobles français auprès des clientèles en quête d’authenticité.

Des expériences marquantes et ce qu’elles démontrent

Les vendanges touristiques ne consistent pas seulement à couper quelques grappes. Les initiatives les plus abouties montrent qu’il s’agit de bâtir un parcours qui donne du sens à l’expérience et qui répond à un objectif stratégique clair pour le domaine :

• En Alsace, le Domaine Specht à Mittelwihr a construit une journée complète qui combine récolte, repas alsacien et dégustation. Ce type de formule attire une clientèle familiale et régionale, en quête de convivialité et d’authenticité. Pour le domaine, l’intérêt est clair : générer du flux à la journée, prolonger la saison touristique et associer le vin à la gastronomie locale.

• En Bourgogne, le Château de Pommard propose une vendange participative suivie d’une dégustation de cuvées prestigieuses. Dans ce cas, le choix est assumé, il s'agit de viser une clientèle internationale en quête d’excellence. L’expérience devient un produit d’appel qui renforce l’image premium du domaine et conduit à des ventes directes à forte valeur ajoutée.

• Dans le Bordelais, le Château Monconseil-Gazin propose une journée “Vis ma vie de vigneron”, qui associe cueillette, déjeuner gourmand et visite du chai, avec un positionnement accessible aux adultes, et aux enfants ! Cette offre montre comment un château bordelais peut ouvrir ses vendanges à un public novice et transformer la découverte en vecteur de proximité et de fidélisation.

Ces exemples montrent que les vendanges touristiques peuvent répondre à des objectifs très différents : remplir la moyenne saison, affirmer une image haut de gamme ou fidéliser une clientèle locale. C’est cette capacité d’adaptation qui en fait aujourd’hui un produit phare de l’œnotourisme.

Une attractivité renforcée hors saison

D’un point de vue économique, l’impact direct des vendanges touristiques reste limité : accueillir quelques visiteurs pour une journée de vendange ne bouleverse pas l’équilibre financier du pôle oenotourisme d’un domaine. Mais leur valeur ajoutée est ailleurs. Ces expériences créent un pic d’attractivité à un moment stratégique, en septembre et octobre, quand la saison estivale ralentit. Elles permettent ainsi de prolonger la fréquentation touristique, de donner du contenu aux offices de tourisme et de maintenir une activité dans les hébergements et restaurants partenaires. Pour les territoires viticoles, c’est un atout réel de désaisonnalisation, qui renforce la visibilité de l’arrière-saison.

Un outil marketing puissant

Au-delà de l’aspect économique, la véritable valeur des vendanges touristiques réside dans leur puissance marketing. Chaque participant devient un créateur de contenu : photos de grappes fraîchement coupées, vidéos dans les vignes, stories Instagram de la pause conviviale ou du repas partagé. Ces publications spontanées alimentent un bouche-à-oreille digital particulièrement efficace, car elles sont perçues comme authentiques et incarnées.

C’est aussi l’occasion pour le domaine de structurer sa communication autour d’un temps fort de l’année. Les vendanges offrent un calendrier idéal : elles prolongent l’élan de l’été, animent la rentrée et créent un pont vers l’annonce des nouvelles cuvées. Les images de récolte, très visuelles, deviennent un support puissant pour nourrir newsletters, réseaux sociaux et relations presse.

L’expérience permet en outre de mettre en avant les vins déjà disponibles, en créant un lien direct entre la vigne et la bouteille. Le visiteur qui découvre le raisin au moment de sa récolte devient un témoin privilégié de la naissance du vin. Le storytelling prend alors une autre dimension : la dégustation ne se limite plus à une étiquette ou à une fiche technique, elle s’accompagne d’un souvenir personnel. On ne déguste plus seulement une cuvée, on se rappelle d’avoir cueilli les grappes qui la composent.

Enfin, les vendanges touristiques sont un excellent prétexte pour collecter des contacts qualifiés (inscription à une newsletter, adhésion à un club, participation à d’autres événements). Elles ouvrent la voie à une relation continue, où le domaine peut transformer une expérience ponctuelle en fidélisation durable.

Une dynamique collective en devenir

Certaines destinations commencent à montrer la voie. À Beaune, l’OFFICE DE TOURISME DE BEAUNE ET PAYS BEAUNOIS a choisi de centraliser une offre de vendanges touristiques : plusieurs domaines partenaires proposent des matinées de cueillette, suivies de dégustations et parfois de repas, avec une réservation coordonnée. Ce modèle illustre comment un territoire peut dépasser les initiatives isolées pour offrir une véritable porte d’entrée collective aux visiteurs. En Alsace, les Vignerons Indépendants d'Alsace ont lancé l’opération « Vendangeur d’un jour », relayée par plusieurs offices de tourisme. Là encore, la démarche est structurée, donnant de la visibilité à une offre partagée à l’échelle régionale. Ces initiatives, encore rares en France, montrent combien la coordination territoriale pourrait renforcer la visibilité et l’attractivité des vendanges touristiques, en mutualisant la communication et en élargissant l’impact au bénéfice de toute une destination.

À l’étranger, certaines régions viticoles ont fait des vendanges un moment fort de leur attractivité. En Napa Valley, en Californie, les récoltes d’août à octobre donnent lieu à une multitude d’événements : vendanges participatives, ateliers immersifs, repas dans les chais, « grape stomping » festifs… Ces offres, souvent premium, sont coordonnées à l’échelle de la vallée et contribuent à faire du temps des vendanges un véritable événement touristique saisonnier. La comparaison est éclairante : là où la France laisse encore aux domaines l’initiative individuelle, d’autres destinations viticoles ont su transformer la récolte en expérience collective et premium, portée par tout un territoire.

L’expérience qui reconnecte le vignoble à son public

Si les vendanges touristiques séduisent autant, c’est parce qu’elles offrent ce que peu d’expériences savent encore donner : un moment vrai, enraciné dans la nature et dans un geste millénaire. Les visiteurs ne viennent pas chercher une animation, ils viennent couper du raisin, sentir l’odeur des ceps, partager la fatigue joyeuse de la récolte et la convivialité d’un repas de vendangeurs. Ils viennent se reconnecter à un monde qui, trop souvent, leur échappe. C’est précisément là que réside leur force stratégique. En ouvrant leurs rangs au public, les domaines ne font pas seulement découvrir un métier : ils ancrent leur image dans l’authenticité, ils donnent du sens à leurs cuvées, ils créent des souvenirs qui marquent durablement. Dans un marché saturé de discours et d’étiquettes, cette immersion devient un différenciateur puissant. Et l’enjeu dépasse l’expérience individuelle. À l’échelle des territoires, les vendanges touristiques prolongent la saison, attirent de nouveaux publics et offrent une formidable vitrine pour parler des défis climatiques et des choix de demain. Elles transforment un temps de travail en un moment de transmission collective.

Les vendanges touristiques ne sont pas une animation anecdotique. Elles sont un récit, un rite, une manière unique de montrer que le vin n’est pas seulement une boisson, mais une histoire vivante et partagée au coeur de nos campagnes.