Quand les caves coopératives s’ouvrent au monde : le pari gagnant de l’œnotourisme

©Calice Hospitality and Wines

Longtemps discrètes, parfois mal perçues, les coopératives viticoles réinventent leur image en misant sur l’accueil, la culture et l’expérience. Une révolution à visage collectif.

Elles représentent près de 50 % de la production viticole française, irriguent les territoires, assurent le maintien de l’activité agricole dans des zones rurales parfois fragiles… Et pourtant, les caves coopératives souffrent encore trop souvent d’un déficit d’image. Trop associées à une logique de volume, trop peu identifiées comme lieux d’excellence ou de patrimoine, elles peinent à faire valoir leur rôle stratégique dans la montée en qualité de la filière viticole française. Face à ce constat, l’œnotourisme devient un levier de transformation silencieuse mais puissante.

Car s’il est un terrain sur lequel les caves coopératives peuvent se réinventer, c’est bien celui de la rencontre directe avec le public. Depuis quelques années, un virage s’est engagé. Partout en France, des caves coopératives investissent dans leurs espaces d’accueil, créent des expériences immersives, valorisent leurs savoir-faire collectifs et développent un discours renouvelé. Loin de la visite standardisée, elles racontent désormais une histoire. Celle d’un territoire, d’une communauté de vignerons, d’un projet partagé. Et cela change tout.

Réhabiliter une image encore trop floue

Une étude publiée en mai 2024 par La Coopération Agricole – Vignerons Coopérateurs et l’Institut Français de la Vigne et du Vin montre que 72 % des Français reconnaissent le rôle essentiel des caves coopératives dans les territoires, mais seuls 34 % associent leurs vins à une production de qualité. Ce décalage révèle un manque de reconnaissance symbolique et identitaire. Il ne s’agit plus seulement de valoriser leur poids économique, mais de repositionner leur image dans un univers où la perception, la narration et l’émotion comptent autant que le contenu du verre.

Le constat est partagé par de nombreux offices de tourisme : les coopératives restent peu visibles dans les parcours œnotouristiques classiques, alors même qu’elles disposent souvent d’une force de frappe territoriale, d’une diversité de gammes et d’infrastructures d’accueil robustes. Pour Marie Rivals, chargée de mission promotion pour la filière œnotouristique à l’Office de Tourisme d’Aix-en-Provence, « l’enjeu est désormais de rendre visible cette montée en qualité ».

Des investissements massifs, une montée en gamme assumée

Depuis une dizaine d’années, les coopératives ont engagé une transformation profonde. Plus de 150 caves coopératives ont créé ou rénové leur espace d’accueil entre 2015 et 2023, dans un contexte de fusions, restructurations et mutualisations régionales. En parallèle, près de 60 % d’entre elles ont lancé une gamme premium ou misé sur la vinification parcellaire, intégrant des certifications comme HVE, bio, ou Vignerons en Développement Durable.

Le Cellier Marius Caïus, à Pourrières dans le Var, incarne parfaitement ce virage. Depuis 2017, cette coopérative a engagé une stratégie de montée en qualité articulée autour de plusieurs piliers : rénovation de l'outil de production, mise en valeur du patrimoine architectural et refonte de la marque. Elle poursuit cette dynamique avec l'accompagnement de CALICE Hospitality and Wines en transformant une ancienne ferme dont elle est propriétaire en un lieu d’expérience, de rencontre et de valorisation partagée. en un lieu d’expérience, de rencontre et de valorisation partagée.

Même dynamique chez Maison Sinnae dans le Gard, où la rénovation du site s’est accompagnée d’un rebranding complet intégrant design, signalétique, discours de marque et création de contenus autour des valeurs coopératives. Les Vignerons du Mont Ventoux, dans le Vaucluse, ont misé sur un accueil chaleureux et immersif, intégré dans le tissu local : boutique rénovée, balade dans les vignes, mise en avant des coopérateurs. Dans le Mâconnais, la coopérative des Vignerons des Terres Secrètes s’appuie sur une stratégie patrimoniale forte : valorisation des Climats, scénographie immersive et accueil d’événements culturels. Au coeur du Golfe de Saint-Tropez, les Vignerons de Grimaud ont créé un lieu de vente moderne avec un nouvel espace dégustation. Enfin, les Vignerons Ardéchois ont articulé leur politique d’image autour d’un espace œnotouristique "Néovinum", combinant scénographie immersive, design moderne et programmation culturelle ponctuelle, dans une volonté assumée de faire dialoguer terroir, innovation et expression artistique.

L’œnotourisme : un outil stratégique pour reconnecter avec les publics

Ce que ces coopératives ont compris, c’est que l’œnotourisme n’est pas qu'un canal de vente directe, mais un outil de transformation identitaire. En accueillant le visiteur, elles ne vendent pas seulement un vin, mais une histoire, un collectif, une démarche. Complémentaire à la relation au vigneron-propriétaire, le modèle coopératif devient un récit pluriel, ancré dans un territoire, nourri d’engagements, ouvert. Cette stratégie peut aussi permettre de changer de génération de clients. Les jeunes publics, notamment les locaux, trouvent dans ces lieux une nouvelle façon d’apprendre le vin.

Des valeurs puissantes, encore sous-exploitées

Le modèle coopératif ne manque pas d’atouts : solidarité entre vignerons, partage des investissements, gouvernance démocratique, ancrage local, mutualisation des compétences, accessibilité des prix. Ce sont des valeurs en résonance forte avec les attentes de la société actuelle. Pourtant, ces dimensions restent encore trop souvent suggérées, et sont rarement pleinement scénarisées dans les lieux d’accueil.

L’enjeu, pour demain, est donc de mettre en récit les fondements mêmes de la coopération, sans chercher à singer les codes du domaine privé, mais en affirmant une voie propre. Une voie où le collectif devient identité, où la transmission devient territoire d’innovation, où l’accueil devient fierté.

Les caves coopératives sont en train de changer d’ère. En ouvrant leurs portes, en investissant dans l’expérience, en assumant leurs valeurs, elles bâtissent une nouvelle relation avec le public. Elles passent d’une logique de discrétion à une dynamique d’expression. Et dans un monde où l’authenticité et le sens sont devenus des critères majeurs d’adhésion, et cela peut tout changer.

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